Pourquoi 0 et 1 ?
Dans son livre "Les lois de la pensée" paru en 1854, George Boole reprend et achève le projet de Leibniz de mettre au point un principe de calcul sur les valeurs de vérité des propositions.
Voici le début - et donc les bases - de la logique des propositions :
Si x représente "les moutons",
Et y l'ensemble des "choses blanches",
xy représentera "les moutons blancs".
Mais d'un point de vue logique, yx représentera aussi "les moutons blancs".
Nota : même si d'un point de vue poétique, ce n'est pas le cas.
On peut donc écrire xy=yx
C'est alors que Boole va se prêter à un exercice de pensée qui peut paraître surprenant :
Il se demande ce que peut représenter xx.
Il aboutit à la conclusion que :
xx représente "les moutons qui sont des moutons" - ce qui est tautologique, car on ne dit rien de plus sur le plan logique en imaginant des moutons qui, en plus d'être moutons sont des moutons.
On peut donc écrire : xx=x
Mais Boole va plus loin : il change alors son système de notation et écrit :
x2=x
Il émet l'hypothèse que le langage universel que recherchait Leibniz est l'arithmétique des nombres, à condition de se limiter aux nombres qui obéissent à l'équation précédente, c'est-à-dire 0 et 1.
Encore faut-il trouver une interprétation à 0 et 1...
0 a la propriété d'être tel que 0x=0 ∀x.
Or, dans notre système de pensée, quels que soient les attributs qu'on prête au néant, on obtient toujours le néant.
0 peut donc être interprété comme ce qui n'existe pas.
1 a la propriété d'être tel que 1x=x ∀x.
1 se comporte donc comme la totalité de ce qui existe, l'univers du discours en entier.
Nota : En réalité les choses sont un peu plus subtiles et Boole consacre de nombreuses pages à faire la bascule entre les couples "néant-univers du discours" et "faux-vrai".
La logique des propositions consiste alors à :
-
représenter les éléments de discours par des symboles (x, y, z, etc.). Autrement dit basculer du monde du discours au monde des nombres, en se limitant aux seuls 0 et 1.
-
puis faire des calculs arithmétiques sur les symboles
-
enfin interpréter les résultats des calculs. Autrement dit re-basculer du monde des nombres 0-1 à celui du discours
Voici un exemple pour illustrer cette mécanique :
Dans l'univers du discours, on peut affirmer avec Boole que "les moutons qui sont des moutons, ce sont des moutons"
Comme vu précédemment, il est possible de représenter cela sous forme d'équation de nombres :
x2=x
Rien n'empêche d'écrire cette équation sous une autre forme, en passant le x2 à droite du "=" :
0 = x - x2.
Soit, en mettant x en facteur :
0 = x(1-x)
Revenons maintenant dans l'univers du discours et interprétons l'équation précédente :
"ça n'existe pas, les moutons qui sont tout sauf des moutons".
Conclusion : par un simple calcul de propositions, on retrouve le principe du tiers exclu mentionné par Aristote,
c'est-à-dire qu'une chose ne peut pas être et ne pas être à la fois.
Les prémices de l'informatique binaire ont donc vu le jour en 1854.
Elles reposent sur l'expression d'une tautologie dans un système de notation arithmétique.