“Tout ce qui peut être représenté graphiquement ou par le biais du design, tel que les systèmes fonctionnels, peut aider à l’appropriation d’un savoir“
Pourriez-vous vous présenter ?
J’ai une formation d’architecte et de designer. Je suis diplômé de l’ENSCI. Je dirais qu’il y a trois grandes influences dans mon parcours : l’architecture, le design industriel et le multimédia culturel. C’est à travers des projets en lien avec ce dernier domaine que j'ai rencontré Sylvie.
EN 1998, j'ai créé la collection jeunesse de Montparnasse multimédia, un éditeur de CD-Rom spécialisé dans le domaine culturel. J’ai réalisé une quinzaine de titres à destination du grand public et plus spécifiquement des enfants. A cette époque, ces CD-roms étaient innovants tant au niveau du contenu que de la forme. Ces derniers ont d’ailleurs été maintes fois primés et distingués pour leur qualité. C’était une période foisonnante, où j'ai eu la chance de rencontrer de nombreux pionniers du numérique. Puis, après avoir été directeur éditorial de Montparnasse multimédia, j’ai décidé de créer ma propre structure « No design » en 2001 avec pour objectif de fusionner dans tous mes projets le numérique et le design. No design propose des solutions où le design et le numérique sont intimement associés et imbriqués.
En parallèle de cette activité, j'ai pendant 20 années enseignées. Tout d'abord à Amiens puis ensuite à l'ENSCI. Dans le cadre de cet enseignement, je faisais participer régulièrement certains intervenants. Sylvie en faisait partie.
A quelle occasion avez-vous rencontré pour la première fois Sylvie Tissot et depuis combien de temps la connaissez-vous.
Quels types de projets avez-vous réalisés ensemble ?
Nous nous connaissons depuis 1999. Dès la création des premières collections jeunesses de Montparnasse multimédia nous avons collaboré ensemble. Cette collection s’appelait « les expériences des petits débrouillards ».
Pour créer des expériences pédagogiques innovantes il fallait imaginer des interactions originales. Or, à l’époque le travail en équipe était organisé en silo :
Les codeurs codaient dans leur coin, les graphistes produisaient également de leur côté. Très vite, nous nous sommes rendu compte que pour imaginer des expériences interactives intéressantes il fallait fusionner toutes les disciplines. Nous avons donc cherché des profils polyvalents. Ce n'était pas si facile de trouver ce type de compétences hybrides. Denis Chiron, un developpeur créatif que j'avais embauché m'a dit qu'il connaissait quelqu'un de très bien et il s'agissait de Sylvie. Elle a donc fait partie de l’aventure « des petits débrouillards ». Nous avons réalisé ensemble les 3 CD-ROM. Ces projets nous ont permis d’expérimenter une nouvelle méthode de production qui impliquait toute l’équipe à chaque étape de la réalisation. On a ainsi cassé l'organisation qui pouvait exister dans le cinéma par exemple : avec un grand chef qui a une vision globale, puis un sous-chef qui en sait un peu moins, puis un sous-chef qui sait encore moins et en dessous des intervenants par spécialité.
Nous nous sommes en fait inspirés des modes de production qui existaient dans le design ou l'architecture, le projet. A l’époque, on ne parlait pas encore beaucoup de la méthode agile mais notre organisation s’en approchait.
Nous avons également gagné ensemble un marché de définition lancé par le musée du quai Branly, sur l'ethomusicologie que nous avons gagné et mené dans le musée. Exposer la Musique est un defi passionnant qui n'a pas été simple a mené. Nous avons tous dépassé nos expertises dans ce projet ce qui en a fait son attrait majeur.
Nous avons donc réalisé ensemble des projets enthousiasmants qui ont offert, à toutes les personnes impliquées, la possibilité de dépasser le rôle classique auquel il était assigné. Lors de ces projets, Sylvie sortait de son rôle de développeuse et était souvent au cœur des projets de façon structurante.
Elle m’a également aidé à faire le premier site web en php de No design.
C'est quelqu'un pour qui j'ai une véritable admiration.
Quand elle vous a pour la première fois parlé de calcul quantique, qu'en avez-vous pensé ?
Elle a commencé à m'en parler à partir de 2006 juste au moment où nous menions une réflexion avec Alain Cadix, directeur de l’ENSCI, sur la place de la science dans notre enseignement. Nous nous posions cette question : pourquoi les écoles de design n’ont-elles pas tissé de liens avec des écoles d'ingénieurs ? A ce moment-là, il n'existait aucun partenariat et nous souhaitions donner une culture scientifique aux étudiants.
Nous avons donc pris contact avec l’École nationale supérieure des télécommunications de Paris (ENST Paris). Nous nous sommes rapprochés également du Limsi, un laboratoire de l'université d'Orsay.
Un jour, Sylvie m’a parlé de son projet de recherche. Elle cherchait à adapter l'algèbre de boole à l'informatique quantique. Faire de la recherche industrielle à partir d’une initiative privée ce n'est pas très courant en France. Sa posture était originale et intéressante. Je l'ai bien sûr encouragé dans sa démarche et je l’ai invitée à participer à des conférences où elle a pu exposer ces travaux.
Elle avait réussi à mettre au point un système qui permettait, grâce à des représentations graphiques, de comprendre ce qui se passait lors d’un calcul quantique.
Cette approche rendait ainsi accessible ce domaine de connaissance compris que par un nombre restreint de scientifiques.
Quand on veut ouvrir le champ scientifique, ce qui est la vocation de tous les organismes scientifiques dans le monde, comme l’Academy of Science en Angleterre, le CNRS en France et les universités, la question de la représentation de la science se pose.
Cette capacité « à saisir » l'objet, via une représentation graphique, pour pouvoir en parler est une approche importante. Tout ce qui peut être représenté graphiquement ou par le biais du design, tel que les systèmes fonctionnels, peut aider à l’appropriation d’un savoir. La représentation graphique et le design créer des espaces cognitifs nouveaux qui permettent de saisir des phénomènes nouveaux, des éléments fonctionnels, des principes scientifiques.
Alors même qu’il y avait un certain scepticisme autour du quantique, elle s’est penchée sur le sujet en se rapprochant des chercheurs en France et à l’étranger qui étudiaient ce domaine.
Actuellement, l’informatique quantique est en pleine effervescence. Des très gros acteurs investissent dans des ordinateurs capables de faire des calculs quantiques : IBM, Google…
En 10 ans les développements ont été significatifs.
La démarche de Sylvie, d'exploration personnelle accompagnée d’une exigence scientifique, n’est pas si commune. Il faut être capable de dépasser le cadre de son expertise initiale et être dans la transdisciplinarité. C'est une conception du travail particulière et c’est passionnant de travailler avec de telles personnalités.
Son approche du quantique est l’illustration d’une posture originale ouverte vers le monde et ses transformations. C'est une manière de questionner le monde à travers les sciences et dans le cas de l’informatique quantique de remettre en question l’approche classique de l’univers.
Ces quêtes qui animent ces personnalités me touchent car c'est selon moi la meilleure discipline de vie que l'on peut avoir.
Je la sais pudique. Elle n’aime pas se présenter en tant qu’artiste. Pourtant à mes yeux, elle l’est totalement. Elle sait être au service des projets des autres mais elle peut également prendre une autre posture et endosser celle de l’artiste.
Quelles sont les utilisations possibles de l'informatique quantique selon vous ?
Je ne sais pas précisément. Les grands calculs énergétiques, les grandes simulations comme les prévisions climatiques. Mais aussi la finance, la santé, le domaine militaire.
Aujourd’hui, les calculs informatiques sont encore très besogneux. Pour obtenir un résultat un peu intelligent, il faut lancer des tonnes de calculs basiques. L’informatique quantique sera capable de gérer plus de complexité et gagnera en aussi en efficacité à un super moteur avec un rendement optimum qui se base sur un paradigme totalement nouveau.
Peut-être que cela va permettre des avancées scientifiques nouvelles grâce à ces modalités de calculs différents.
Cela va également ré-architecturer la classification des ordinateurs. Mais je serai bien incapable de vous dire quand nous aurons tous chez nous un PC quantique.