Sophie Laplante
© Lou Vettier
Sophie Laplante
Professeure à l’IRIF (Institut de recherche en Informatique Fondamentale)
à l’Université de Paris Diderot.
Laboratoire d’Informatique Algorithmique : Fondement et Applications
Sophie Laplante est spécialisée en algorithmique et complexité du calcul classique et quantique.
Elle dirige l’équipe Algorithmique et Complexité de l’IRIF et est membre du centre PCQC (Paris Center for Quantum Computing).
Elle est la responsable scientifique du projet Qubobs.
Entretien avec Sophie Laplante
Propos recueillis par Thu Trinh-Bouvier le 28 janvier à 2022
“Je cherche à expliquer ce qu’est le calcul quantique à travers une approche multi-sensorielle. Des objets mécaniques, aux interfaces interactives en passant par une expérience auditive, tous ces axes différents et complémentaires peuvent permettre au plus grand nombre de comprendre la spécificité et la complexité du calcul quantique.”
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis professeure à l’IRIF (Institut de recherche en Informatique Fondamentale). Je fais partie des équipes du LIAFA (Laboratoire d’Informatique Algorithmique : Fondement et Applications) qui est rattaché à l’Université de Paris Diderot. Je suis spécialiste en informatique théorique et je m'intéresse en particulier à la complexité, c'est-à-dire la difficulté de résoudre les problèmes complexes avec des outils informatiques.
Est-ce que vous pouvez nous parler de votre cheminement vers les sciences ?
Depuis mon enfance, je suis attirée par les sciences et mon entourage m’a toujours encouragée à poursuivre mes études dans ce domaine. J'ai fait des études en mathématiques et en informatique, ne sachant pas quelles disciplines scientifiques m'intéressaient davantage. Puis, j'ai fait mon doctorat à l'université de Chicago, ensuite je suis revenue faire mon post doc en France. J'ai réussi à avoir un poste d'enseignant chercheur ici, donc depuis la fin des années 90, je travaille en France.
Dans quelles circonstances vous êtes-vous intéressée au calcul quantique ?
J’ai été sensibilisée au calcul quantique au début des années 90 parce que j'étais à l'université de Montréal et que mon directeur de Masters, Gilles Brassard, s’y intéressait. On commençait à parler de ce sujet car Brassard et Bennett avaient découvert, depuis peu, le protocole qu’on appelle aujourd'hui "Protocole BB84". Durant cette période, mes camarades ont développé des logiciels pour implémenter ce protocole d'échanges de clé BB84. À cette époque, le calcul quantique était encore très exotique et cela comportait un certain risque de dédier son temps à ce domaine de recherche. Grâce à mes amis, je suis donc restée en contact avec cette discipline tout en me concentrant sur le sujet de la complexité mathématique.
J’ai commencé à y consacrer plus de temps beaucoup plus tard, mais mon approche était en lien avec mon domaine de prédilection qui est et reste la complexité.
Jusqu’à maintenant ce sujet est donc resté un peu en filigrane grâce à ce lien permanent avec mes amis et des collègues scientifiques.
Plus que la capacité de calcul que peut produire un ordinateur quantique, je me suis plutôt interrogée sur les limites du calcul de ce type de machine.
En y réfléchissant bien, je pourrai résumer les choses ainsi j’ai toujours eu un intérêt particulier pour le calcul quantique mais j'ai toujours ressenti également une forme de résistance dans l'appropriation de ce domaine de connaissance. Ce dernier implique de s’immerger dans un certain type de mathématiques pour lesquelles je n’ai pas de facilité. Les mathématiques utilisées en calcul quantique sont l'algèbre et moi je fais ce qu'on appelle des "mathématiques discrètes" plutôt que de l'algèbre. D’ailleurs, c'est peut-être pour cela que je cherche aujourd'hui à expliquer le fonctionnement du calcul quantique en limitant le recours à l’algèbre.
À quel moment est venu ce projet pédagogique de vulgarisation ?
J'enseigne le calcul quantique dans un cours de Master2 depuis une quinzaine d’années. J'ai été amenée à bricoler des petits objets pour essayer d'expliquer aux étudiants certains concepts dont la superposition et l'enchevêtrement. Un jour, Lou Vettier, qui est designer, m'a contactée et de cette rencontre est né un projet pédagogique. Initialement, c'était juste un projet exploratoire dont le but était d'améliorer les objets bricolés que j'utilisais dans mes cours. L’idée était donc de concevoir des représentations plus fines. Progressivement, ce projet a pris de l’ampleur. J’ai alors découvert, grâce à cette rencontre, qu'on pouvait aller beaucoup plus loin dans la conception et la réalisation d'objets pédagogiques. De ce fait, j'ai décidé de m'y investir vraiment sérieusement.
Aujourd'hui, on parle beaucoup d'ordinateurs quantiques et de calcul quantique, avez-vous perçu ce nouvel engouement sur le sujet ?
En fait, cet intérêt pour le sujet a été très progressif. Dans le monde de la recherche, cela a pris beaucoup de temps avant que les chercheurs prennent le sujet au sérieux. C'est à partir de l'algorithme de Shor et de Grover en 1994 que la communauté scientifique, physiciens et informaticiens, a commencé à prendre les choses au sérieux. Maintenant, avec les implémentations et la construction des ordinateurs quantiques, c'est le grand public qui commence à s'y intéresser. De ce fait, c'est d'autant plus intéressant pour moi de développer des outils qui permettent d'expliquer vraiment de quoi il s'agit au plus grand nombre.
Selon vous y'a-t'il une grosse incompréhension du sujet par le grand public ?
Il y a une immense incompréhension. Tant que les physiciens, les mathématiciens et les informaticiens refuseront de parler précisément de ce qu'est le calcul quantique en dehors du cadre des mathématiques, cette incompréhension subsistera. On ne peut pas présenter ce savoir au grand public, dans des capsules de temps limitées d'une heure ou deux par exemple, sans rentrer dans des notions mathématiques difficiles à appréhender pour le plus grand nombre d’entre nous.
Si j'écris une équation au tableau, cela ne sera pas limpide pour tous. Cependant, ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas expliquer les concepts même si c'est difficile de concevoir les bons outils pédagogiques. Jusqu'à maintenant, je pense que peu de gens y arrivent d’où l'intérêt de notre démarche à Lou, Sylvie Tissot et moi.
Quelles sont les idées préconçues qui montrent à quel point les gens se trompent dans la compréhension de ce sujet ?
Je ne sais pas si ce sont des idées préconçues mais je pense que la plus grande incompréhension c'est que les gens confondent ce qui est aléatoire et ce qui est quantique. De ce fait il y a beaucoup de choses que les gens disent au sujet du calcul quantique qui en fait ne sont pas des phénomènes proprement quantiques mais plutôt des phénomènes aléatoires.
Par exemple, il y a des gens qui expliquent que la force du quantique c'est la parallélisation massive qui vient de la possibilité de faire des superpositions, mais cela est aussi vrai dans le domaine des probabilités. Ce n'est pas cela qui fait la puissance propre du calcul quantique.
Quelle est donc la spécificité du calcul quantique ?
Un des phénomènes qui se produit uniquement en quantique : c'est l’interférence.
L'interférence, c'est comme si les probabilités pouvaient devenir positives et négatives et s'annuler entre elles. Ce phénomène se produit au cours d'un calcul. Il y a des parties d'un calcul qui peuvent avoir un coefficient positif et au cours du calcul il y a d'autres parties du calcul qui ont un coefficient négatif et qui vont finir par s'annuler et laisser s'atténuer les parties du calcul qui ne sont pas utiles et donner plus de prépondérance à la partie qui est utile. Ce phénomène d'interférence ne se retrouve pas dans le calcul probabiliste.
Autre phénomène, l'enchevêtrement : dans les protocoles de communication quantique, comme la cryptographie, il y a le phénomène d'enchevêtrement qui est très proche de ce qu'on appelle en probabilité les corrélations. Mais ce qui fait la spécificité du quantique c'est la possibilité au cours des calculs d'être enchevêtrés mais avec des coefficients négatifs.
Quels sont les domaines économiques qui vont être impactés par le calcul quantique ?
Je ne veux pas m'avancer sur ce sujet parce que je ne suis pas économiste. Les retombées économiques sont très difficiles à prévoir.
Moi, je m'intéresse à la partie théorie et scientifique et je laisse la partie financière et industrielle aux autres.
Par exemple, je pense qu'on apprend beaucoup de choses sur des phénomènes classiques en étudiant le calcul quantique.
Etes-vous en relation avec d'autres chercheurs à l'étranger ?
Il y a dix ans, je travaillais de façon plus intensive avec des collègues sur le sujet mais dernièrement je ne me suis un peu retirée de la communauté du calcul quantique car je me suis davantage concentrée sur le calcul classique et la complexité qui sont vraiment mes domaines de recherches.
Pouvez-vous me parler de ce projet pédagogique que vous avez élaboré avec la designer Lou Vettier ?
Lorsque Lou est venue me voir elle m'a dit qu’elle construisait des objets pour essayer d'expliquer des choses conceptuelles difficiles à comprendre. Cette rencontre m'a forcée à réfléchir et à me demander quels seraient les objets qu'elle pourrait construire qui m'aideraient dans mon enseignement. Je me suis demandée comment représenter un qubit, l'analogue quantique du bit classique, qui porte l'information dans les ordinateurs.
Par exemple, il y a beaucoup de choses qui marchent très bien en quantique. En particulier, les protocoles de communication parce que cela utilise peu de qubits et que la technologie optique fonctionne très bien. Donc la cryptographie quantique, la téléportation quantique sont aujourd'hui utilisées dans certains secteurs d'activité. Les entreprises l'utilisent pour faire des échanges de clés par exemple. Ces calculs sont stables et fiables parce qu’ils ne nécessitent pas une température très basse pour les obtenir.
Notre projet est donc d’expliquer ces protocoles de communication quantiques, comme la cryptographie quantique, en nous appuyant sur des objets pédagogiques pour représenter la transmission d'un qubit, c'est-à-dire l'interception d'un qubit par une personne extérieure qui essaye d'écouter une conversation privée.
En parallèle du projet que je mène avec Lou, je développe avec Sylvie une représentation graphique qui permet d'illustrer ce protocole quantique de communication sur des smartphones.

L’idée est d’avoir deux approches pédagogiques complémentaires et différentes pour expliquer un même phénomène. La version interactive de Sylvie et l’approche mécanique développée par Lou.
Concevoir des objets qu'on peut toucher pour appréhender un sujet complexe le rend moins intimidant. Le côté tactile pour moi est important. Je trouve ça amusant de pouvoir expliquer avec des objets physiques.
Nous allons donc continuer à fabriquer des tas de petits objets ludiques et pédagogiques pour expliquer les protocoles de communication. Avec Lou, nous avons réussi à simplifier au maximum la représentation mécanique d’un calcul quantique. Elle a apporté son œil de designer à chaque étape et aussi dans le choix des couleurs. Je n’aurais jamais eu l’idée de choisir l'orange et le bleu pour représenter des qubits. Cela peut sembler anecdotique mais ce simple choix de couleur est important dans l'appropriation des outils.
En parallèle, avec Sylvie, nous allons développer d’autres représentations du calcul quantique que l'on ne peut pas expliquer avec des objets mécaniques car il faut représenter des transformations précises sur des qubits pendant les calculs. Donc ces calculs quantiques, nous les verrons sur des interfaces graphiques manipulables en ligne pour que les gens puissent jouer avec.
A quelle occasion avez-vous rencontré Sylvie ?
Sylvie voulait apprendre le calcul quantique. Elle a contacté les gens de mon labo. C'est ma collègue Julia Kempe qui lui a donné des cours particuliers. Mais nous avons également sympathisé et je suis restée en contact avec Sylvie. Occasionnellement, nous développons des petits projets ensemble. Récemment, je lui ai demandé si elle avait envie de reprendre ses interfaces de calcul pour les retravailler afin de concevoir une nouvelle représentation plus facile d'accès que celle qu'on avait imaginée ensemble il y a plusieurs années.
Nous travaillons à la conception d’une représentation réduite à son plus simple appareil. On a vraiment fait disparaître ce qui était complexe.
En complément de ces deux approches, j’explore également une autre représentation. Cette dernière sera auditive. On s'est dit que les choses qu’on n'arrivait pas à représenter visuellement, pouvaient peut-être s'illustrer à travers une approche sonore.
L’audio peut nous aider à comprendre le phénomène de l'interférence. Je prends des cours de piano et en discutant avec un professeur, qui s'intéresse aux mathématiques, progressivement cette idée a germé. Je me suis dit qu'avoir un compositeur à nos côtés serait un plus.
Ce musicien va donc créer une composition musicale mathématiquement cohérente qui puisse accompagner notre travail pédagogique. Ainsi, pour illustrer le calcul quantique nous aurons aussi des sons qui représenteront différents qubits. On verra si cette dimension musicale aide pédagogiquement. Bien évidemment, cela va demander de multiples itérations mais c'est intéressant de développer cette approche multisensorielle.
À travers ces différents projets, j'essaye de concevoir des outils qui permettront de comprendre intuitivement et de façon tactile des phénomènes sans faire appel au formalisme des mathématiques qui reste quelque chose réservé à peu de gens. Ils permettront ainsi à un public varié de comprendre plus précisément le calcul quantique. Je souhaite démocratiser le savoir tout en restant mathématiquement correct. Bien sûr parfois il nous faut tricher un peu pour simplifier les choses mais l’idée est bien de conserver une rigueur scientifique pour être au plus proche de la réalité mathématique.
Les qubobs
https://www.irif.fr/users/qubobs/index

https://quantum-show.com/qubobs/

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